Au pôle Emploi Céline a froid dans le dos

La petite Céline était rentrée à la MORISLAISSE à l'age de 20 ans. Elle était bien dans sa fonction de comptable unique, bien dans sa solitude et tellement bien installée dans un petit appartement à moins de 2 heures de son lieu de travail ; logement pour lequel elle avait obtenu un prêt à taux variable sur 20 ans des plus intéressants.
Ses supérieurs étaient comblés par ce petit bout de femme qui ne se levait de son siège qu'après s'être assurée que le labeur fût achevé. Pas une fois elle n'avait fait faux bond à la Direction pour le traitement des salaires, pour les inventaires ou les bouclages budgétaires. Et puis un matin, de l'air ou plutôt un courant d'air mortifère lui traversa le corps, en constatant comme les ours de boucle d'or, que quelqu'un avait touché à ses affaires, bougé sa chaise et surtout vidé son pot à crayon aux couleurs de son employeur.

Le bureau qui avait été le sien était jonché d'archives et de dossiers divers. Elle pensa d'abord à une erreur, hésita puis prit conscience de ce qui lui arrivait lorsque le mouvement panoramique de ses pupilles dilatées arriva au bout de la table. Au sol reposait un petit carton de feuilles pour photocopieuse dont dépassaient divers objets hétéroclites. A la vue de ses affaires personnelles, dont la valeur était plus symbolique que matérielle, elle comprit que ce carton était plus éloquent qu'un long discours. Comme le Petit Prince, elle comprit que le carton renfermait bien plus qu’un mouton.


John smith est resté profondément marqué par cet épisode et a toujours des contacts avec elle même s'il les souhaiterait plus rapprochés. Il apprit depuis peu que la petite céline est devenue miss lina et qu’elle vit désormais du commerce sur la toile de prestations qui froissent le cœur et les draps.

Après le début de la grande crise de 2009 il faut faire face aux visites incessantes des huissiers, des experts immobiliers et autres agents inhumains dont la vile besogne consiste qui à saisir un bien hypothéqué, qui a évaluer au plus bas le montant de ce bien, tous travaillant avec un professionnalisme de chiens galeux.
Pour ne pas perdre son investissement, et au passage sa petite part de rêve de propriété privée, rêve qui l'avait poussée à voter pour le petit prince en 2005, elle avait traversé le désert du flambant organisme France-Emploi, croisant des conseillers, des chercheurs d'emploi, des perdus mais pas beaucoup de trouvés! Mais rien pour elle. Rien pour une comptable trop zélée, pour cet ange trop ailée, pour cette rêveuse écervelée. De toutes façons l'argent et sa gestion ne renvoyaient plus qu'une image lointaine et dédaigneuse. Les caisses étaient vides. A quoi bon continuer d'embaucher des comptables quand l'unique mot d'ordre était désormais de ne plus rien dépenser et de faire rentrer manu militari les quelques deniers encore dûs par des clients récalcitrants, en dépôt de bilan ou sous mandat de dépôt.

Elle convenait tout de même que les choses avaient changé pourtant dans ce bureau de placement idéal. L'ambiance de paix et d'amour qui s'en dégage, un avant-goût du paradis, enfin surtout de la mort qui précède en fait. Les hauts parleurs diffusent des musiques minimalistes censées reproduire les vibrations les plus stimulantes pour un humain en fin de vie ou en recherche d'emploi. Des diffuseurs de parfum libèrent avec discrétion des effluves destinées à préparer l'embaumement des corps bien avant qu'ils ne perdent pied, chair et os. Bref on est bien accueilli pour se voir annoncer la liste des obligations auxquelles doivent satisfaire les chômeurs dignes de ce nom, mais avec politesse, volupté et parfois même une petite larme pour les plus humains et les meilleurs comédiens.
Avant de sortir vous êtes invité à vous joindre aux hordes de demandeurs d'emploi autour de la corbeille, tout comme il s'en était agi de la bourse des valeurs dans les premiers temps de son existence. Les emplois font en effet l'objet de spéculations et marchandages, de rencontre directes entre ceux qui ont un job et ceux qui en veulent encore un, des deux côtés alternent joies et larmes.
"- Nous allons restaurer la valeur travail avaient-il dit". Ils se sont surtout restaurés presque autant que leur résidence secondaire. Mais pour les petits, rien! pensait Céline.
Pourtant le petit prince et ses félons n'avaient pas menti. Le travail est désormais une valeur dominante parce que rare pour ceux qui choisissent encore de vivre dans les grandes agglomérations. Rare parce que seuls resteront en vie ceux qui pourront trouver leur place dans la société urbaine moribonde ou ceux qui auront les moyens de s'en affranchir. Ce n'est désormais plus un droit mais un devoir que de travailler pour survivre dans les villes.

"- Vous connaissez le métier, les clients et les fournisseurs, mais aujourd'hui pour un job comme le vôtre il vaut mieux avoir travaillé dans la sécurité ou les arts martiaux." s'était-elle vu déclarer très gentiment par un des bonzes chargés d'annoncer le verdict aux candidats.
Après avoir glorifié les seigneurs de la bourse, la société éhontée a choisi de sacrifier jusqu'au plus petit représentant de la filière comptable. Depuis que l'argent ne vaut plus rien, les placements en bourse ont laissé la place à la bourse des placements. Les temps changent.

Le type du bureau lui parla un jour de la nécessité d'identifier des passerelles-métier. Céline devint miss célina. Que pouvait-elle bien faire elle qui s'était donnée corps et âme à son entreprise? Elle qui avait vu défiler des kilomètres de chiffres, des liasses de billets et des patrons libidineux, sacrifiant sa vie privée et amoureuse sur l'autel de la conscience professionnelle.
Elle s'était alors tournée vers une profession où en toute conscience elle irait à l'hôtel voir défiler en privé des kilomètres de patrons libidineux en échange de quelques billets.

Elle s'était prostituée pour ses patrons, elle travaille maintenant en free lance.


(source image : Le Monde.fr)

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